Les farines

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Il est utile de parler des farines au pluriel, parce que toutes les farines ne se valent pas ! Il y a différentes farines pour différents usages, et les comprendre est une clef pour réussir certaines pâtisseries et en particulier certaines viennoiseries. Comme expliqué dans les recettes de la brioche Nanterre ou des pains au chocolat, le résultat dépend grandement de la farine choisie à la base. En effet, il est impossible de réussir une belle brioche avec une farine fluide, dont l’usage en pâtisserie est à réserver au mieux aux pâtes sablées ! Cet article propose un petit récapitulatif sur les farines, leurs propriétés, leurs usages et aussi sur où les dénicher. Cet article parle uniquement des farines de blé, mais bien sûr, il existe autant de farines que de céréales: blé, épeautre, seigle voire riz et maïs… En l’occurence, en pâtisserie on utilise à 99% de la farine de blé (le pain d’épices est composé de farine de seigle mais bon… ).

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La farine (de blé !) se compose de trois grandes catégories de nutriments:
-les glucides contenus dans l’amidon. Cet amidon provient de l’amandon du grain de blé (la partie centrale).
-les protides, soit en majorité le gluten contenu dans la farine. Le gluten est contenu dans l’amandon du grain de blé, et marginalement dans le germe.
-les fibres et minéraux qui proviennent du son contenu dans la farine. Celui-ci est constitué de l’enveloppe extérieure du grain de blé.

Si l’on moud des grains de blés, on obtient une farine intégrale, classifiée en France comme de la Type 150 par le décret n°63-720, promulgué en 1963.
Type 150 signifie que le taux de cendres de cette farine est de de plus de 1,4%. Autrement dit, cette farine comporte plus de fibres et donc proportionnellement moins de gluten et d’amidon qu’une farine blanche. Cette mouture est ensuite blutée, et tamisée pour obtenir différents grades et qualités de farine, un peu comme du pétrole brut que l’on raffinerait pour avoir des composés légers (essence) et lourds (bitume).

Le même décret reconnaît les farines suivantes:
-T150: Taux de cendres > 1,40% : C’est la farine intégrale
-T110: 1% > Taux de cendres > 1,2% : C’est la farine complète
-T80: 0,75% > taux de cendres > 0,9% : C’est la farine bise ou semi-complète
-T65: 0,62% > taux de cendres 0,75% : C’est la farine à pain, utilisée par les boulangers pour la baguette de tradition française.
-T55: 0,5% > taux de cendres > 0,6% : C’est la farine à biscuiterie, ou « tous usages »
-T45: taux de cendres < 0,5% : C’est la farine à pâtisserie ou fleur de farine.

Plus le taux de cendres descend, plus la farine est riche en gluten. Le gluten est ce qui rend la farine panifiable, c’est ce qui donne à la farine la capacité à retenir les gaz issus de la fermentation, et donc à bien gonfler. La classification en T n’est pas suffisante pour rendre compte des différentes valeurs des farines. Les professionnels utilisent également une classification par valeur boulangère: c’est la capacité de la farine à gonfler lorsqu’elle a été pétrie et ensemencée à la levure (ou au levain). La valeur boulangère est indiquée par la lettre W, mais peu de marques de farine grand public l’indiquent sur les paquets. Plus le W est élevé, et plus la farine a la capacité à encaisser de longues pousses pour donner au final quelque chose de très levé. Par exemple, si l’on veut réaliser de la brioche filante, du pain de mie moelleux et léger, ou quelque chose comme un panettone, on aura besoin d’une farine avec un W élevé, au dessus de 300. La dénomination farine de gruau correspond à une farine réalisée à partir de grains de blé déjà mondés, elle est donc plus pure et souvent plus riche en gluten. Le décret de 1963 reconnaît aussi deux types de farines de gruau, T45 et T55.

D’autres pays ont d’autres nomenclatures, par exemple l’Italie utilise des « 0 » pour désigner la finesse de la mouture et le taux de cendre résiduel. La farine 00 que l’on trouve pour les pizzas est plus raffinée que la T45 française, elle correspond à une T35 ou T40 (qui n’existe pas). Pour s’y retrouver d’un pays à un autre, on peut se fier à deux choses: la valeur W, internationale, et les indications sur le taux de protéines: plus le taux de protéines est élevé, plus la farine est forte (riche en gluten).
-En dessous de 10% de protéines, c’est de la farine faible, dont l’utilisation est à réserver à ce qui ne doit pas lever.
-Entre 10 et 12% c’est de la farine mi-forte, qui peut convenir à du pain par exemple.
-Au-delà de 12%, on est dans la farine forte ou « de force », qui est à réserver à la brioche, aux pains de mie, et autres délices très moelleux (colomba pasquale, pandoro, panettone, etc.)

La fiche nutritionnelle indiquant le taux de protéines (13%) et la force boulangère (W350)

La fiche nutritionnelle indiquant le taux de protéines (13%) et la force boulangère (W350)

Il faut comprendre que le gluten est un complexe de protéines dont la structure est semblable à un ressort. Quand on pétrit la pâte, on détend les ressorts, et on les tisse entre eux, à la manière d’un tricot. Cette structure s’appelle le réseau glutineux ou glutinique. Elle agit comme une toile qui va retenir le gaz carbonique que produit la levure lorsqu’elle consomme l’amidon de la farine. Le gaz est retenu dans la pâte, qui gonfle ! Si l’on essaie de faire la même chose avec une farine intégrale, le réseau glutineux sera faible, et va se déchirer en laissant passer le gaz: le pain ne gonflera pas et sera dense, avec une mie peu alvéolée. On peut d’ailleurs avoir un aperçu du réseau glutineux en faisant le test du voile de pâte à la fin d’un pétrissage. Cela permet de se rendre compte de l’efficacité du pétrissage: s’il n’est pas possible d’étendre la pâte jusqu’à voir à travers sans qu’elle ne se déchire, cela signifie que le pétrissage n’est pas optimal, pas terminé.

Quelle farine pour quel usage ?

-Pour les biscuits secs, et pâtes à tarte il ne faut pas utiliser une farine forte: par exemple pour une pâte sablée /pâte sucrée, il vaut mieux une farine T55. Une farine forte provoquerait une importante rétractation de la pâte à la cuisson et une pâte dure sous la dent.
-Pour la pâte à choux, pour les mêmes raison il vaut mieux utiliser une T55
-Pour les biscuits moelleux comme les cuillers, le biscuit joconde, la génoise et d’autres, cela a moins d’importance. La T55 conviendra parfaitement, mais la T45 aussi si vous n’avez que ça sous la main.
-Pour le feuilletage classique ou inversé, il vaut mieux utiliser de la T55 ou un mix de T45 et T55. N’utilisez pas uniquement de la T45 où le laminage et l’abaisse seront difficiles.
-Pour la pâte levée feuilletée, il faut que la pâte puisse gonfler tout de même. Donc T45 (gruau éventuellement) ou un mix de T45 et T55 si on veut ménager la chèvre et le chou.
-Pour la brioche et les pains de mie, T45 (de force, pas une T45 au hasard), T45 de gruau ou farine 00 italienne avec un W élevé.
-Pour la pâte à baba, c’est similaire à la brioche: T45 / gruau.
-Pour la pâte à cake, la pousse provient de la levure chimique dite poudre à lever. De la T55 conviendra parfaitement.

Certaines farines indiquent à quels usages elles seront les mieux employées:

C'est en italien, mais les noms des produits sont assez transparents...

C’est en italien, mais les noms des produits sont assez transparents…

Où les trouver, où se fournir ?

En régle générale, la grande distribution ne propose pas de bonnes farines si l’on veut quelque chose d’un peu spécifique. Parfois, au rayon « produits du monde », on aura de la chance de trouver quelques farines (farines complètes, farines Manitoba de force (en provenance du Canada) pour la pizza ou la brioche… Mais mieux vaut tenter sa chance dans d’autres endroits:
-Si vous avez un moulin près de chez vous et que vous faites souvent du pain, il vaut mieux aller acheter un sac directement. On sera sûr de sa provenance et de sa qualité, mais généralement ces sacs font 25kg ! En France, il est possible de trouver des farines Label Rouge « Bagatelle », en T45 et et T65. Le prix au kilo est tout à fait comparable à de la farine de grande distribution, pour une meilleure qualité.
-Si vous avez un grossiste pour la restauration près de chez vous, il proposera souvent plus de farines qu’un établissement pour particuliers. Par exemple, Métro, Promocash et autres ont souvent plusieurs types de farines (farines italiennes pour pizzas comme Caputo, Molino Spadoni, Quatro Staggioni, etc., farines pour pâtisseries, farines de gruau…
-Eventuellement, demandez à votre boulanger de vous en vendre un sac, ou quelques kilos s’il accepte.
-Enfin, il est possible d’en trouver en ligne, mais attention aux frais de port. Des sites comme le moulin de Nomexy en proposent une gamme variée.

Personnellement, j’utilise de la farine italienne Garofalo (entre autres) parce qu’elle est garantie sans additifs, que les W sont indiqués sur le paquet et qu’elle me donne satisfaction pour la préparation de viennoiseries. Pour les Bruxellois il est possible d’en trouver au Carrefour Express de la place Jourdan à Etterbeek. Les autres Carrefour (mêmes les hyper) n’en proposent pas à ma connaissance… Celui-ci est particulier du fait de son emplacement au milieu du quartier européen. Pour la pâte à tarte ou les biscuits, je prends en général une farine moins « haut de gamme », de la T55 tout-venant convient très bien.

Un sac de farine du moulin de Hollange, qui travaille à la meule, sans additifs, en biodynamie, etc.

   Un sac de 25kgs de farine du moulin de Hollange, qui travaille à la meule, sans additifs, en biodynamie, etc.

La grande mode du sans gluten

Il ne vous aura pas échappé que de plus en plus de gens déclarent suivre un régime sans gluten. La plupart d’entre eux sont persuadés que le gluten est mauvais pour la santé, qu’il est responsable de leurs 20 kilos en trop et qu’il mange les enfants. En vérité, il existe environ 1% de la population atteinte de la maladie coeliaque, qui rend difficile voire impossible l’assimilation du gluten par l’organisme (l’intestin en particulier). Pour ces personnes, on peut parler d’allergie et bien sûr, il ne faut pas consommer du gluten. Pour les autres, on est dans le domaine de la lubie, ou du moins de l’effet de mode. Se bourrer de pain, de pâtes alimentaires ou autres aliments contenant du gluten fait grossir, évidemment. Votre organisme va transformer les glucides contenus dans le pain/les pâtes en cellules adipeuses. Le gluten n’a rien à voir dans tout ça. Certaines personnes peuvent être atteintes de troubles digestifs lorsqu’elles consomment trop de gluten, notamment via des produits industriels (pains de mie industriels…) qui contiennent de la farine (donc déjà du gluten) et du gluten ajouté ! Pour faciliter la panification à la machine, on tonifie la farine, comme si on la mettait sous stéroïdes. Le résultat est bien évidemment peu soucieux du bien-être, voire de la santé du consommateur. Si l’on va chercher son pain chez un artisan boulanger, il n’y a pas de problèmes particuliers. Demandez à vos parents/grands-parents si en leur temps, ils avaient des problèmes liés au gluten… Bien sûr que non.

Le côté positif de cette mode est qu’elle a eu le mérite de fournir des aliments sans gluten plus facilement pour les personnes vraiment allergiques: là où autrefois les rayons du supermarché étaient peu achalandés dans ces produits, il en existe plein aujourd’hui. En pâtisserie cependant, il n’est pas facile de s’en passer. Pour la viennoiserie, c’est impossible. Pour le reste, on peut trouver des alternatives à base de fécule, de poudre d’amandes, de riz soufflé… C’est toutefois plus facile que les pâtisseries sans lactose. Le vrai challenge étant le sans lactose/sans gluten !

 

 

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20 réflexions sur “Les farines

  1. merci beaucoup pour tous ces gentils conseils..je fais toujours attention a la farine que j’utilise, et j utilise beaucoup de « 00 » pour mes brioche et pizza…encore merci et je vais partager votre article super interessant;bonne soirée la Nonna

  2. J’ai acheté de la farine au moulin de Jonzac dans les Charentes Maritime, la farine blanche est très bien, par contre la farine complète ne me convient pas. J’y retourne en septembre et je ne prendrai que de la farine blanche (plus chère que la farine Francine fluide) mais tellement meilleure.

    • Vous avez bien raison. La plupart des farines de marque type Francine ne valent pas grand chose en boulange si on s’intéresse un peu à ce qu’on fait.

  3. Bonjour,

    Merci pour cet article super intéressant. Depuis quelques semaines je m’entraîne à faire des cookies. Mon but est qu’ils soient énormes, moelleux au milieu et croustillants sur les bords. Selon vous, quelle serait la meilleure farine pour cela ?

    Merci ! 🙂

    • Bonjour Lionel,

      Pour les cookies, je pense que la farine ne joue pas un rôle très important. Je crois savoir que l’un des ingrédients clefs pour obtenir ce que vous voulez est le sucre vergeoise. Il y a aussi des variantes avec des flocons d’avoine qui permettent d’avoir une texture assez spécifique. Vous avez regardé le site de Bruno Albouze ? Il a pas mal de recettes de cookies, il me semble: http://www.brunoskitchen.net/cookies

      A bientôt

      • Merci Patron. Je ne connaissais pas le site de Bruno Albouze, je vais aller voir cela de plus près.
        Bonne journée.

      • Il a un style un peu particulier disons, mais ses recettes en vidéo sont toujours très bien expliquées et bien réalisées. Il en publie une par semaine et s’est mis à en publier en français depuis peu pour ceux qui ne parleraient pas anglais… Je recommande totalement !

  4. Bonsoir moi je suis boulanger et j’aimerais savoir si on peut signé un accord pour que nous envoyer la farine moi j’utilise deux connteneur par mois

    • Bonjour,

      Je suis ravi de lire votre demande, mais malheureusement je ne suis ni producteur ni meunier ni minotier ! Mon article était juste pour expliquer aux amateurs les différentes qualités de farines qui existent.
      Bonne chance dans votre recherche de partenaire commercial !

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  7. Très bon article, merci d’avoir traité cet aspect de la cuisine souvent passé sous silence.
    Question subsidiaire. Il me semble que la farine n’a pas vraiment de date limite de consommation, si tant est qu’elle est conservée au sec et à l’abri de la lumière. Mais perd elle ses qualité, comme sa force, sa capacité à pousser ?

    • C’est exact ! Les farines peuvent perdre en force en vieillissant, même s’il est généralement admis qu’il vaut mieux attendre pour travailler une farine venant d’être moulue (quelques jours voire semaines).

  8. J’arrive tard mais super article!
    Mais les équivalences entre types français et italiens (t45, t55, 00 etc) ne sont pas encore claires pour moi…
    Du coup en parlant de farines italiennes, qu’est-ce que tu choisis pour les différentes utilisations ?
    Si j’ai bien comprit, la w350 pour les brioches.
    Que choisir pour pâte feuilletée inversée? Pâte levé feuilletée ? Pâte à choux?
    Merci!!

    • le W désigne la force boulangère, ce n’est pas propre aux farines italiennes. Toutes les farines ont une certaine force, ce n’est pas toujours (loin s’en faut) indiqué sur le paquet. PLF = farine T45 ou gruau (w>250). PF/PFI = T55 (w<250). Pâte à choux= T55 (w<250, par exemple 180 ou autre).

      • Oui je le suis très mal exprimée 😅
        J’ai souvent l’utilisé l’équivalence t45=00, t55=0 etc mais je comprend maintenant que ce n’est pas correcte.
        Merci pour la réponse !!

      • Le mieux en l’absence de la valeur W, est de regarder le taux de protéines de la farine. Au dessus de 12% c’est de la farine de force, pour ce qui doit être pétri longuement comme la brioche. Entre 10 et 12 c’est intérmédiaire, on va dire de la farine à pain. Et en dessous de 10% c’est de la farine faible, par exemple à réserver aux biscuits, pâtes à tartes, pâte à choux… La pâte feuilletée (normale ou inversée) ne nécessite pas de farine forte, alors que la pâte levée feuilletée (dont la détrempe est pétrie, et qui doit lever) a elle besoin d’une farine plus forte 🙂

  9. Merci pour cette revue des différentes farines et leur utilisation. Très didactique. Je réalise que le taux de protéine et la force sont liés mais quand même différents. La vraie difficultés est de pouvoir se procurer des farines de qualité en quantité limitée à prix raisonnable. Je continue ma recherche.

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